Parce qu’il faut bien un début, autant repartir de la base. Ma date de naissance : 5 juin 1983. Une date banale sur le papier, un jour comme un autre sur le calendrier.
Sauf que ce jour-là, il s’est passé un truc qui ne s’est encore jamais reproduit depuis. Yannick Noah, 23 ans, remporte Roland-Garros.
Le seul Français à avoir soulevé la Coupe des Mousquetaires. Et avec tout l’amour que j’ai pour le tennis français, probablement le seul pour encore un bon moment…
Avec le temps, j’ai fini par me raconter une histoire autour de ça. Comme si c’était un signe. Comme si, d’une façon ou d’une autre, ça avait façonné un bout de ma trajectoire.
Entre mes projets perso, mes obsessions, ma manière de voir le hip-hop et la street culture, même ma façon d’aborder la vie, cette victoire m’a marqué au fer rouge et ce n’était que le début.
Yannick Noah, c’était plus qu’un joueur de tennis. C’était un mood.
Là où Agassi était dans l’extravagance, Noah incarnait un truc plus naturel. Plus cool. Son style, son sourire, sa légèreté…
Il a dépassé le sport et est devenu une icône qui a su jongler entre les terrains et les scènes, entre la performance et l’émotion. Un équilibre que peu ont réussi à atteindre. En fait, il n’a pas seulement marqué que son époque. Il a marqué plusieurs générations et s’est ainsi naturellement inscrit comme emblème de la pop culture.
À travers Noah, c’est tout un univers dans lequel j’ai plongé. Un univers où sport, marques, publicité et culture s’entremêlent, traversent les époques, et finissent par ne faire qu’un. Un imaginaire où tout était possible. Passant d’une passion à une autre.
Il incarnait un tennis qui parlait à une autre génération. Un tennis qui ne se contentait plus d’être élitiste, qui vibrait avec les gens et la culture populaire.
Il ouvrait, en France, la voix à un nouveau tennis. Plus décomplexé, plus audacieux et apportait une fraicheur sur les terrains comme en tribunes. Une bouffée d’air frais que je m’empressais de respirer à chacun de ses match.
C’est pour moi l’un des plus beau représentant de ce qu’est la pop culture. Sur le fond avec ses prises de positions et sur la forme avec sa carrière de sportif et tout ce que cela implique.
Noah incarnait une nouvelle génération qui osait. Mais il incarnait aussi l’espoir.
Avec ses shorts Le Coq Sportif, ses dreadlocks, la chanson... Il concentrait tout ce que la culture alternative était et tout ce que la jeunesse de l’époque recherchait. Et je ne peux m’empêcher, des décennies plus tard, d’imaginer que cette rencontre, aussi hasardeuse fut-elle, ne joue pas un rôle dans mon quotidien encore aujourd’hui.
Je me rappelle comme si c'était hier de son tour de terrain en coupe Davis 91 avec toute l'équipe de France derrière lui et le publique qui chante avec lui Saga Africa. Si ça peut paraitre désuet aujourd'hui, à l'époque c'était incroyable. Comme le dit d'ailleurs le commentateur de FR3, "c'est du jamais vu !"
Alors si chaque génération a ses héros, ce qui est fascinant, c’est la manière dont ces figures s’inscrivent et se répondent à travers le temps. Federer parlait de Sampras. Sampras s’inscrivait dans la lignée de Borg. Aujourd’hui, Alcaraz est comparé à Nadal. Chaque joueur, chaque époque, s’inscrit dans une continuité, avec ses codes, ses repères, ses idoles.
Mais Noah, lui, a poussé la transmission un cran plus loin. Il ne s’est pas contenté d’être un modèle, il a pris un rôle actif. Capitaine de l’équipe de France, mentor, artiste engagé. Une passerelle entre les générations, entre le sport et la musique, entre la compétition et l’expression.
Ne serait-ce pas ça finalement la culture ? Une passerelle, comme un lien entre les générations.
Et moi, chaque année, début juin, je regarde Roland-Garros avec ce même mélange de fierté et de nostalgie. Je cherche des signes. Comme un écho à cette finale que je n’ai jamais vue en direct mais que je pourrais raconter les yeux fermés.
Parce qu’au fond, on a tous un 5 juin 1983 en nous. Un moment qui nous dépasse, un truc auquel on s’accroche sans trop savoir pourquoi. Reste juste à le trouver et à en faire quelque chose.